Robert Denoël, éditeur

2011

 

Janvier

 

Le 19 : Serge Klarsfeld, président de l'Association des fils et filles de déportés juifs de France [FFDJF], s'indigne dans un communiqué à l'Agence France Presse, en « découvrant » que le cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline a été inscrit sur la liste des célébrations nationales pour 2011.

Chaque année le Haut Comité des célébrations nationales, qui dépend de la direction des Archives de France, publie un recueil détaillant ces célébrations. Celui de 2011 sera présenté le 21 janvier à la presse par le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand.

La FFDJF exige « le retrait immédiat de ce recueil et la suppression, dans celui qui le remplacera, des pages consacrées à Céline. A ceux qui s'offusqueraient de cette exigence, nous répondons qu'il faut attendre des siècles pour que l'on célèbre en même temps les victimes et les bourreaux. La République doit maintenir ses valeurs : Frédéric Mitterrand doit renoncer à jeter des fleurs sur la mémoire de Céline, comme François Mitterrand a été obligé à ne plus déposer de gerbe sur la tombe de Pétain. »

Le 20 : Invité sur Europe 1, Bertrand Delanoë, le maire de Paris, soutient la démarche de Serge Klarsfeld et croit devoir donner son avis sur la question : « Céline est un excellent écrivain mais un parfait salaud ». Frédéric Vitoux, auteur d'une biographie de Céline et académicien, déclare ne pas comprendre cette polémique : « C'est le mot célébration qui est ambigu ». Bernard-Henri Lévy estime que Klarsfeld et Delanoë « vont trop vite ». Emile Brami, auteur de livres sur Céline, pense que « L'absence de distinction entre l'homme de lettres et le citoyen est à l'origine de toute la polémique ».

En un temps record la « blogosphère » s'émeut et lance le sujet qui fâche : « Doit-on ou ne doit-on pas célébrer Céline ? » : L'Express, Le Figaro, Français Desouche, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Petit Célinien, Rue89, ouvrent leurs colonnes aux lecteurs.

Sur son blog Philippe Bilger, avocat général près la cour d'appel de Paris, consacre sa page journalière à cette affaire et n'hésite pas à écrire qu' « on veut faire mourir Céline une seconde fois ».

Le 20 : Sur la page « Livres » du Monde, Alain Beuve-Méry consacre un article aux biographies « qui n'en finissent pas », notamment celle de l'écrivain surréaliste Jacques Rigaut dont Jean-Luc Bitton diffère la publication depuis sept ans et qui ne devrait pas voir le jour, « dans le meilleur des cas », avant septembre 2012 chez Denoël.

 

Heureusement Olivier Rubinstein, directeur des Editions Denoël, est philosophe : « il attend depuis douze ans une autre biographie de référence, celle de Robert Denoël, écrite par Pascale Froment et en co-édition chez Fayard. Mais là, pas de date en vue pour l'instant. » Il est vrai que Rubinstein quittera ses fonctions à la fin du mois d'août...

Pourtant on trouve sur l'Internet des libraires bien informés à ce sujet, ce dont témoigne l'annonce d'un libraire de Mons (Belgique) :

Le 21 : Très attendu, l'article de Pierre Assouline sur « l'affaire Céline » est mesuré : « Disons que le président de la FFDJF est là parfaitement dans son rôle, que le ministre de la Culture serait parfaitement dans le sien en ne tenant aucun compte de cette injonction, que les céliniens seront parfaitement dans le leur en célinant de concert jusqu'en juillet et que tout le reste est littérature. »

Entretemps le ministre de la Culture a cédé aux injonctions du lobby juif et Assouline publie courageusement un post-scriptum cinglant : « Quel crédit peut-on encore accorder à la moindre de ses décisions quand on constate la légèreté avec laquelle un ministre de la République, qui a, dans un premier temps, accepté, avalisé et préfacé le programme des célébrations nationales, se renie sous la simple menace d'une injonction publique venant d'une personnalité et d'une association ? La volte-face est indigne et injustifiable. On saura désormais à quelle aune il convient de mesurer les prochaines décisions du ministre de la Culture. »

Un ministre de la Culture « grand comme ça »

Cette pantalonnade aura permis de rappeler que Céline avait, après la guerre, interdit de rééditer ses œuvres polémiques, qu'il avait d'ailleurs gommées sur la page « du même auteur » de tous les livres suivants.

Mais quel est le véritable statut de ces pamphlets ? Ils ont été retirés de la vente sur ordre du ministère de la Guerre, le 15 janvier 1945 et, à ma connaissance, cette « liste Otto » française n'a jamais été désavouée. Les trois pamphlets antisémites de Céline seraient donc toujours interdits de publication, non seulement par la volonté de leur auteur, mais surtout par une directive ministérielle qui n'a pas été abrogée.

Le 22 : Une correspondance inédite [1945-1947] de Céline à la jeune Danoise Bente Johansen est mise en vente aux enchères à Liège. Estimée 20 000 à 25 000 euros, elle réalise 28 000 euros, hors frais.

Le 24 : A l'occasion du centenaire de la naissance de René Barjavel, la ville de Nyons lui rend hommage tout au long de l'année : expositions, conférences, spectacles, en partenariat avec des associations régionales, l'Office du tourisme, ou la médiathèque départementale. Comme le déplore un commentateur dans Le Magazine Littéraire, c'est l'indifférence qui prévaut au niveau national.

 

Février

 

Le 4 : Inauguration d'une exposition « René Nelli ou la poésie des carrefours » à Carcassonne, dans la « Maison des mémoires », au n° 53 de la rue de Verdun, qui fut autrefois celle de Joë Bousquet. Robert Denoël avait publié en 1938 l'un de ses premiers livres : Le Tiers Amour.

Le 15 : Décès à Paris de François Nourissier. Journaliste et romancier né à Paris le 18 mai 1927, Il avait été secrétaire général des Editions Denoël entre 1952 et 1955.

Le 20 : Les Editions de la Reconquête, maison française créée en janvier 2006 et « hébergée » au Paraguay, annonce la réédition à 100 exemplaires d'Apologie de Mort à crédit par Robert Denoël.

Le 27 : « Faut-il publier tout Céline ? », article de Nelly Kaprièlian sur le site Les Inrocks, qui écrit, à propos de ses pamphlets antisémites : « Contrairement à ce que beaucoup pensent, ils ne sont pas frappés d'une " censure d'Etat " mais d'une interdiction de réédition exigée après la guerre par Céline lui-même, et depuis sa mort, par son ayant droit, sa veuve Lucette Destouches. »

Une circulaire ministérielle du 15 janvier 1945 a bel et bien fait retirer de la vente Bagatelles pour un massacre, L'Ecole des cadavres et Les Beaux Draps. A ma connaissance, cette mesure n'a jamais été rapportée. Mea Culpa, qui ne figurait pas sur la liste des ouvrages proscrits, est réédité depuis 1967.

Rappelons encore que si les ouvrages « indésirables » figurant sur les listes Otto avaient été sélectionnés par les autorités d'occupation, cautionnées par le syndicat du livre français, ceux qui ont figuré sur les quatre listes adressées en 1945 aux libraires par l'Office professionnel du livre, émanaient d'un organisme dépendant du Contrôle des Informations, c'est-à-dire du ministère de la Guerre, devenu en 1948 ministère de la Défense nationale.

Il est vrai que ces listes paraissent avoir été établies hâtivement et sans trop de discernement (Guignol's Band figure sur celle du 15 mars 1945 !) mais une directive ministérielle non abrogée reste exécutoire. C'est ainsi que les pièces des Fleurs du mal condamnées en 1858 le sont restées jusqu'en 1949.

 

Mars

 

Le 5 : Projection du téléfilm « Les Livres qui tuent » à la Maison de la Challe, à Eragny-sur-Oise, où plusieurs scènes furent tournées en octobre 2008 :

Page d'accueil du site de la ville d'Eragny,  20 février 2011

Après des projections « en avant-première » au Festival International de Programmes Audiovisuels à Biarritz en janvier 2009, au Festival du Film de Télévision à Luchon en février 2009, à la chaîne de télévision suisse TSR2 en mars 2009, à l'Hôtel de Massa à Paris, siège de la Société des Gens de Lettres, en juin 2009, le téléfilm de Denys Granier-Deferre poursuit sa carrière confidentielle.

 

Avril

 

Le 4 : Décès de Geneviève Moremans, fille du journaliste Victor Moremans, ami de Simenon et de Denoël. C'était une fidèle amie à laquelle je dois bien des informations à propos de la période liégeoise de Robert Denoël. Elle était née à Liège le 26 avril 1923.

 

Mai

 

Le 9 : vente aux enchères à l'Hôtel Marcel Dassault de livres et manuscrits dont une importante correspondance inédite de Céline à son confrère le docteur Alexandre Gentil, qui a atteint la somme de 80 000 euros.

Le même jour, Colette Turpin, née Destouches le 15 juin 1920, est morte à Neuilly ; elle a été enterrée le 13 à Lannilis. Yves Turpin, son mari, est décédé le 26 juillet 2012.

  

Nous partagions le même défaut, celui d' « en griller une à l'entracte ». Ici, lors d'une « journée célinienne » organisée le 30 mars 1996 à Paris par Marc Laudelout, alors que nous bavardions de choses et d'autres :


- Savez-vous ce que mon père me reprochait le plus ? Devinez !, me dit-elle en masquant sa cigarette.
- Mais, de fumer, j’imagine.
- Bien entendu, mais ce n’est pas ça : de manquer d’élégance en fumant.
- ... ?
- Mais oui, l’avez-vous remarqué ? Les femmes se cachent pour fumer : elles prennent alors toutes sortes d’attitudes fuyantes, et leur féminité s’absente.

Le 18 : mise en vente chez Sotheby's Paris d'un exemplaire sur alfa hors commerce [n° CX, avec un texte caviardé] de Mort à crédit dédicacé sur deux feuillets au radiologue Roger Le Canuet : « Très sincère hommage et vive gratitude et très sincère admiration pour son talent et sa science magiquement efficace qui nous ont permis de terminer tant bien que mal ce trop lourd ouvrage ! LF Céline ».

L'écrivain était tombé malade en début d'année, alors qu'il terminait son roman. Il écrivait à Henri Mahé, le 18 février 1936 : « J'ai été à l'hosto me faire voir ! J'avais perdu 11 kilos. Rien du tout ! Que de l'épuisement ! Je suis à bout ». L'exemplaire, estimé 8 000 à 12 000 euros, en a réalisé 10 000, frais inclus.

 

Parution du Céline d'Henri Godard dans la collection « Biographies » de Gallimard, que certains commentateurs de presse présentent d’emblée comme l’ouvrage de référence.

Or Godard n'est pas homme de terrain et il n'a jamais effectué personnellement de recherches biographiques. Son livre a le mérite de paraître après que des centaines de lettres inédites, que ne connaissaient pas ses devanciers, ont été publiées dans la Pléiade. Il a donc disposé d’un matériau entièrement nouveau qu’il convenait de rattacher aux éléments biographiques déjà connus.

C’est chose faite, et bien faite, même si, comme l’écrit Pierre Assouline, « son récit, monocorde jusqu’à l’ennui, manque à ce point d’allant, de mordant, d’humour, de style quoi ! » On ne peut demander à un agrégé de se transformer en explorateur enthousiaste : il annote et analyse, avec sobriété et pénétration, sans faire preuve jamais de la moindre exaltation. D’où lui jaillirait-elle ? Le tort de son éditeur a sans doute été de présenter dans cette collection un travail universitaire qui, sur le plan strictement biographique, n'apprend rien qu'on ne trouve ailleurs.

 

Parution, aux Editions de l'Harmattan, d'une biographie en deux volumes de Raymond Abellio [1907-1986]. Après avoir salué le mérite des Allemands qui ont eu le courage de faire leur autocritique, Nicolas Roberti, philosophe et journaliste, écrit : « On conclura en rêvant que la France (y compris la principauté de Monaco…) fasse montre d’un tel courage vis-à-vis de son passé. Pays où la majorité du monde de l’édition et de la presse a adopté un comportement plus qu’ambigu à l’égard de la collaboration. Cette histoire toujours taboue est symbolisée par l'assassinat non élucidé de Robert Denoël en 1945. Comme dit l’Ecclésiaste : " Rien de nouveau sous le soleil ! " Mais il y a là comme l’arrière-goût d’un soleil invaincu. »

 

Juin

 

Le 10 : Mise en vente d'un exemplaire du service de presse de Voyage au bout de la nuit, adorné d'un envoi à Alain Laubreaux. Estimé 800/1 000 euros, le volume en a réalisé 2 300.

 

Le 12 : Le site du Collège Jean Rogissart de Nouzonville consacre sa page d'accueil à l'écrivain ardennais dont on commémorera le décès, le 11 septembre. Le texte choisi est celui du site « Robert Denoël, éditeur ».

Le 15 : La rue Sébastien-Bottin devient la rue Gaston-Gallimard. Pas entièrement, toutefois. L'immeuble du n° 9 devient le n° 1 rue Sébastien-Bottin, et le 5-7, siège des Editions Gallimard, devient le 5 rue Gaston-Gallimard.

Le Nouvel Observateur,  15 juin 2011

Ce curieux pataquès est dû à Antoine Gallimard, le patron de la maison d'édition qui, depuis des mois, intriguait auprès de la mairie de Paris pour imposer le nom de son grand-père, avec l'aide active de Pierre Assouline, son lobbyiste attitré pour la circonstance. Les copropriétaires du n° 9 et les conseillers du VIIe arrondissement y étaient opposés. Le projet fut avalisé le 16 mai par le Conseil de Paris.

Le 16, Bertrand Delanoë, maire de Paris, inaugure la rue Gaston-Gallimard, qui se réduit donc à un seul immeuble, puisque cette artère ne comporte ni n° 1, ni n° 3. C'est sur sa façade que sera apposée prochainement la plaque officielle.

Le 17 : Vente aux enchères « Louis-Ferdinand Céline » à l'Hôtel Drouot.. Sous les n° 215 et 216 on trouve deux portraits de Céline par Gen Paul. Le premier, un fusain rehaussé de pastel daté 1936 et estimé 6 000 à 7 000 euros, en a réalisé 3 600. Le second, peint au couteau sur toile, non daté, et qui était présumé représenter l'écrivain, a réalisé 26 000 euros (l'expert l'estimait 27 000 à 35 000 euros).

    

Le n° 161 du catalogue est un document qu'on ne trouve, en principe, jamais dans le commerce : celui d'une note confidentielle émise le 16 octobre 1943 par l'annexe algérienne du BCRA, c'est-à-dire les services de renseignements français :

 

Décryptons les trois dates qui figurent sur le document : l'information a été transmise de Paris, le 15 août 1943, aux services spéciaux français basés à Alger et dirigés par le colonel Henri Dewavrin, qui l'ont réceptionnée le 18 septembre, et l'ont diffusée le 16 octobre 1943.

Or des éléments de cette « note confidentielle » ont été publiés, la veille, dans Combat, l'organe du Conseil National de la Résistance (CNR). On trouve, parmi les membres du comité directeur de ce journal clandestin : Henri Frenay, Georges Bidault, et Claude Bourdet, responsable du service de la propagande. C'est la première fois qu'un éditeur français était mis en cause par la presse clandestine non communiste.

On n'a aucune indication sur l'identité des amis devant lesquels Denoël aurait « paradé » en affirmant que si la guerre se terminait « malheureusement » sur une victoire des alliés, il n'aurait qu'à se mettre au vert pendant un an pour que l'oubli se fasse autour de son nom.

Une déclaration assez proche a été rapportée par Lanza del Vasto dans L'Arche avait pour voilure une vigne, paru en 1978. Alors qu'il se rendait rue Amélie en octobre 1943 pour signer le service de presse de son Pèlerinage aux sources, Denoël lui aurait parlé « de la victoire définitive des Allemands, qui lui paraissait assurée, et dont il semblait se réjouir, je ne sais pourquoi. »  Mais Lanza ajoute cette réflexion, qui jette un doute sur l'authenticité de son témoignage : « Je souhaitais dans mon cœur qu'il fût moins mauvais prophète au sujet du succès de mon livre. »

Lanza n'a pu formuler ce souhait en octobre 1943 : c'est en 1978, avec un recul de trente ans, qu'il l'écrit. Et on ne voit pas pourquoi l'éditeur aurait parlé de guerre à un disciple de Gandhi qui venait de rédiger, à sa demande, un livre de paix.

L'information transmise au BCRA le 15 août 1943 est d'autant plus surprenante que le rédacteur prend la peine d'expliquer, sous le titre « Quelques collaborationnistes " repentis " », que la plupart d'entre eux « essayent de se composer un nouveau visage » : depuis la chute de Stalingrad, on observait en effet des revirements significatifs.

Denoël, à qui l'on reprochait précisément de jouer sur deux tableaux en publiant à la fois Rebatet et Triolet, aurait alors déclaré à des « amis » parisiens indiscrets son intention de « disparaître quelque temps à la campagne » en cas de victoire alliée...

Cette « obstination dans l'erreur » ne cadre pas avec les démarches entreprises dès le mois de mai 1943 par l'éditeur, qui prend une participation dans la Société des Editions Domat-Montchrestien, quitte la gérance des encombrantes Nouvelles Editions Françaises, et négocie la vente de la Librairie des Trois Magots. Pécuniairement, Denoël « se met au vert » très tôt.

Ces « déclarations » intempestives et imprudentes de l'été 1943 sont peut-être à rapprocher d'une réflexion notée le 26 septembre 1943 par Charles Braibant dans son journal publié chez Corrêa en 1945 : « Et les éditeurs qui ont trahi, et les écrivains qui se sont vendus, que leur fera-t-on ? Ces canailles se targuent déjà, paraît, de l'impunité. Denise Clairouin, que j'ai vue cet après-midi, me raconte que X..., l'un des éditeurs les plus compromis, a dit : " Moi, je m'en fous. Je passerai six mois à la campagne, j'irai à la pêche. Et puis je reviendrai à Paris et je ferai de la propagande pour les Anglais " » [La Guerre à Paris, pp. 303-4].

Denise Clairouin [1900-1945], traductrice de l'anglais (Graham Greene, D.H. Lawrence), est une résistante déportée en 1943 à Ravensbrück, où elle est morte, deux ans plus tard. Le choix d'une telle interlocutrice pour étaler des projets aussi cyniques est encore plus confondant... On peut remarquer que Braibant parle de six mois à la campagne, le BCRA d'un an, et Combat de deux ou trois ans... Mais le parcours de Robert Denoël est bien celui-là : forcé de quitter la rue Amélie en août 1944 et de s'absenter du paysage littéraire durant près d'un an, il publie à partir de septembre 1945 des brochures à la gloire de la Résistance.

Irène Champigny elle-même avait écrit en décembre 1945 à Cécile Denoël, qu'au printemps 1944, elle avait voulu « une dernière fois le mettre en garde socialement, le conjurant de comprendre qu’il se trompait. »

L'affaire est troublante et mérite d'être éclaircie.

 

Juillet

 

Le 1er : Des dizaines de journaux, revues et blogs consacrent un article ou un dossier à Louis-Ferdinand Céline, à l'occasion du cinquantenaire de sa mort. Seul Aldus, le blog d'Hervé Bienvault, a eu cette pensée inattendue :

Peut-être anticipe-t-il sur une information récente : la chaîne de télévision Antenne 2, productrice du téléfilm de Denys Granier-Deferre tourné en 2008 : Les Livres qui tuent, a finalement programmé sa diffusion pour le vendredi 15 juillet, en fin de soirée.

Entretemps un professionnel de l'audiovisuel m'a dûment chapitré à ce propos. Il allait sans dire que ce téléfilm commandité par Antenne 2 devait être visionné au moment le plus propice, lequel se trouvait fatalement au cours de la quinzaine suivant la date anniversaire de la mort de Céline. Les quelques projections plus ou moins privées qui avaient eu lieu jusqu'ici étaient destinées à baliser le terrain, à préparer un débat qui ne manquerait pas de s'engager.

Toute cette science médiatique m'avait échappé. Mais, dans Télérama, Samuel Douhaire a balayé ces fadaises :

« Sur le papier, Les Livres qui tuent avait tous les atouts pour être programmé à 20h35 avec succès d'audience à la clé. Et pourtant... Le téléfilm de Denys Granier-Deferre, terminé début 2009, est resté plus de deux ans sur les étagères de France 2. Il est finalement relégué en deuxième partie de soirée au cœur de l'été, vendredi 15 juillet. Une telle attente est, sans doute, liée à l'instabilité chronique des équipes dirigeantes de France Télévisions : Les Livres qui tuent a été commandé par un premier directeur de la fiction, livré à un deuxième, sans doute peu pressé de mettre à l'antenne un programme dont il n'avait pas eu l'initiative, et diffusé par un troisième, qui semble résolu à faire place nette avant d'imprimer sa marque. Le scénariste Jean-Claude Grumberg avance une autre explication : " J'ai voulu parler d'un épisode historique d'une manière très personnelle. Peut-être trop personnelle pour la télévision telle qu'on la produit désormais. " »

Le 13 : le site Wikipédia consacre une notice au téléfilm de Denys Granier-Defferre : Les Livres qui tuent.

Le 16 : le site d'Europe1 publie les taux d'audience de la veille. Les Livres qui tuent a recueilli la plus faible part d'audience : 8 %, ce qui représente tout de même 1,2 millions de spectateurs.

 

Parution de la première biographie de Luc Dietrich par Frédéric Richaud, son arrière petit-cousin, qui avait déjà réédité les deux romans de l'auteur en 1995 aux Editions Le Temps qu'il fait. Très condensé, l’ouvrage doit se lire avec attention car il n’y a pas de notes en bas de pages, ni en fin de volume. Documentée et bien écrite, cette biographie déçoit néanmoins à cause du manque de personnalité de Luc Dietrich, qui rappelle un peu Eugène Dabit, éternel indécis, dont le premier livre fut réécrit en partie par Roger Martin du Gard.

      

Manquant de confiance en ses moyens littéraires, Dietrich se fit aider, lui aussi, pour rédiger Le Bonheur des tristes. Denoël ne l’ignorait pas qui, le 12 octobre 1935, écrivait à Champigny : « Le côté précieux du livre est dû plus au copain [Lanza del Vasto] qui l’a écrit sous sa dictée qu’à lui-même. Le livre avait 500 pages. J’en ai coupé la moitié, la dernière moitié, qui était le comble de l’artifice et de la littérature. Mais Dietrich a accepté cette amputation sans une seconde d’hésitation. »

Pour L’Apprentissage de la ville, son meilleur roman, qu’il avait écrit sous l’influence de Céline, dont l’écriture l’impressionnait, Dietrich fit à nouveau appel à son mentor. Le jugement de Lanza, qui ne pouvait souffrir Céline, fut sans appel : « Le ton du livre fait trop penser à Céline. Il faut tout remettre à plat ». Et Luc Dietrich s’exécute : en compagnie de Lanza il remet tout à plat. Quelle fut la part de chacun dans la réécriture de ce roman, que Dietrich propose d’ailleurs à Lanza de co-signer ? Elle est difficile à apprécier car l'écrivain a, semble-t-il, tout recopié avant de remettre son manuscrit à l’éditeur. Mais on ne peut que s'interroger désormais sur l'originalité de ce romancier sous influence.

Septembre

 

Le 1er : Olivier Rubinstein quitte la direction des Editions Denoël pour celle de l’Institut Français de Tel Aviv. Le 4, il accorde une interview à Influences. On y lit : « Sur son bureau de directeur-gérant bientôt en exil, trône, comme une provocation, le portrait du fondateur de cette maison d’édition, Robert Denoël, éditeur inventif, génial, pressé mais collaborationniste, mystérieusement assassiné à la Libération. »

Antoine Gallimard a nommé à sa place Béatrice Duval, qui a débuté dans l’édition en 1990 chez J’ai lu, puis fut directrice de Fleuve noir entre 2000 et 2006, avant de prendre la direction littéraire de Calmann-Lévy entre 2006 et 2009. Actuellement directrice-adjointe du domaine étranger des Presses de la Cité, elle prendra ses fonctions chez Denoël début octobre.

Le Bulletin Célinien de Bruxelles lance une souscription pour un ouvrage dû à Alain de Benoist, Arina Istratova et Marc Laudelout : « Tout sur Céline ». Le programme est vaste : bibliographie, filmographie, phonographie, internet.

C'est un volume de 320 pages sous couverture illustrée, dont le tirage est limité à 300 exemplaires, et qui est vendu anticipativement 55 euros, port inclus, au lieu de 65 euros à sa sortie, prévue « à l'automne 2011 ».

En août 2016, l'ouvrage est toujours en gestation.

 

Octobre

 

La revue Terres Ardennaises de Charleville-Mézières consacre un remarquable numéro spécial à Jean Rogissart, à l'occasion du cinquantenaire de sa mort, le 11 septembre 1961. Les contributions y sont de qualité, et les documents, qui proviennent des Archives départementales des Ardennes, judicieusement choisis et répartis.

La biographie de cet écrivain discret reste à écrire, mais on y apprend, au détour de quelques articles, que Rogissart, homme de gauche, aurait fait après la guerre un voyage en Russie soviétique, et qu'il aurait eu sa carte du parti communiste. Le 4 septembre 1919 il avait épousé à Paris Charlotte Seemann, une jeune fille juive de Nouzonville, dont les parents furent déportés en 1942 et dont on resta sans nouvelles.

    

En juillet, Les Amis de l'Ardenne avaient déjà consacré un numéro spécial à Rogissart, contenant notamment une importante correspondance inédite couvrant les années 1927-1959, que j'ai utilisée ici.

 

Novembre

 

    

Le 10 : Parution de Malaquais rebelle, un ouvrage biographique dû à Geneviève Nakach, présidente de la Société Jean Malaquais. Sur le site des Editions du Cherche-Midi l'éditeur présente Malaquais, prix Renaudot 1939 pour Les Javanais (Denoël) : « On l'a comparé de manière discutable à un Céline de gauche, voire d'extrême gauche. Sa vie, en tout cas, fait penser à un voyage au bout de la nuit, durant lequel il n'a jamais renoncé à ses convictions et a trouvé en elles la lumière qui lui a permis de garder le cap. »

Le 17 : Histoire de la Crim', un ouvrage « grand public » de Matthieu Frachon qui a pu consulter les archives de la préfecture de police de Paris. Pas pour l'affaire Denoël, hélas, qui occupe deux pages dans le livre, et dont le compte rendu est fautif en plusieurs endroits.

L'auteur situe le lieu de l'attentat « à l'angle de l'avenue des Invalides et du boulevard de Grenelle » : une avenue qui n'existe pas, et un boulevard qui se trouve dans le  XVe arrondissement. L'éditeur « gît par terre, à plat ventre », alors que tous les rapports de police le décrivent étendu sur le dos. Une information, peut-être, mais qui n'est pas autrement développée : la brigade criminelle était alors « soumise aux pressions des épurateurs ».

 

Décembre

 

Le 2 : Discours de Fabrice Epstein lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris. Au cours d'une brillante allocution, le jeune avocat se prononce pour une réédition officielle des pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline, et annonce son intention de porter plainte contre les Editions de la Reconquête qui, depuis cinq ans, les réimpriment sans autorisation. Cette plainte aurait effectivement été déposée le 5.

Le 13 : Vente de livres et documents concernant Sacha Guitry à l'Hôtel Drouot, provenant de la collection d'André Bernard, un admirateur de l'artiste. Parmi les pièces proposées figurait un manuscrit de Guitry adressé depuis le camp d'internement de Drancy, où il fut détenu du 23 août au 25 octobre 1944, au commissaire Joseph Duez, qui obtint son élargissement.

Ce manuscrit de 29 pages, qui était une défense en réplique à l'accusation d'avoir été un collaborateur notoire, a été acquis [61 960 euros] par le musée des Lettres et manuscrits. C'est le même commissaire Duez qui fut un temps chargé de l'enquête sur l'assassinat de Robert Denoël, en décembre 1945.