Robert Denoël, éditeur

1976

 

Mai

 

Le 4 : Le Conseil municipal de Saint-Lô décide d'attribuer une rue de la ville à Luc Dietrich. L'écrivain y a séjourné entre février et juin 1944, chez son ami le docteur Benoit, pour y préparer un ouvrage sur les malades mentaux. Le 10 juin il avait été blessé au cours d'un bombardement : « Trois pierres me tombent dessus. L'une sur le ventre, plate et un peu ronde, une sur le pied droit, une sur le pied gauche, mais je ne sens aucune douleur », écrivait-il, le jour même.

C'est pourtant cette blessure au pied, d'apparence anodine, qui provoqua peu après une septicémie. Rapatrié à Paris, il végéta plusieurs semaines à l'hôpital Lyautey, privé de parole et paralysé du côté droit, avant de mourir le 12 août 1944, avec, à son chevet, ses amis Georges Gurdjieff et Lanza del Vasto.

 

Juin

 

Réédition des Décombres suivis des Mémoires d'un fasciste aux Editions Jean-Jacques Pauvert. Interrogé sur l'opportunité d'une telle réédition par Bernard Pivot sur le plateau d' « Apostrophes », le 18 juin, l'éditeur déclare qu'il considère l'ouvrage comme un document exceptionnel sur l'immédiat avant-guerre.

    

Les invités sur le plateau se prononcent tous pour la publication de ce livre mais aussi contre toute forme de censure éditoriale. Dans la presse les articles indignés se multiplient.

En avril 1998, l'éditeur s'explique sur la censure dont a fait l'objet le premier volume : « La veuve de Rebatet m'a apporté un exemplaire - corrigé par son mari, m'a-t-elle assuré - des Décombres [...] Amputé ou pas, ce document avait gardé toute sa capacité d'indigner. On m'a remis ce texte tel quel, c'était ça ou rien. Aurait-il fallu faire une édition critique en restituant en regard les passages retirés ? »

Le journaliste du magazine Lire lui rétorque : « Les pages, plutôt. Les pires. Robert Belot, auteur d'une biographie de Rebatet au Seuil, en a dénombré 127 ! Tout publier n'aurait-il pas été plus conforme à la logique de votre carrière ? » Et Pauvert répond : « Ma logique d'éditeur ne peut s'exercer contre celle d'un auteur. Un auteur est ce qu'il est, mais s'il revient sur ce qu'il a écrit, je m'incline. Il a tout de même des droits. »

Robert Poulet, qui connaissait bien le couple Rebatet, a, dans une lettre du 25 juillet 1976, proposé cette explication à Jean Rimeize : « Pauvert a été contraint, comme vous dites. Mais il n'a pas obtenu la permission de Mme L.R. Il s'est borné à l'avertir après coup. Si quatre pages ont été remplacées, c'est parce qu'elles comprenaient une attaque personnelle qui risquait de donner lieu à un procès. » [Jean Rimeize. Robert Poulet, p. 30].

En réalité c'est bien Lucien Rebatet qui a corrigé en 1970 l'édition Denoël en vue d'une réédition : on en trouvera toutes les variantes ici.

En mai 2004 Pauvert dira à un journaliste du Magazine littéraire : « Aujourd'hui, il serait impossible de publier un livre intitulé Mémoires d'un fasciste. Il est vrai que le livre est terrifiant. La veuve de Rebatet m'avait fait passer une version des Décombres qui était encore pire ! Publier ce livre était utile. Si j'en avais vendu 200 000 exemplaires, ça aurait été un cauchemar, si j'en avais vendu deux cents, ça aurait été tout aussi grave (signifiant que les gens ne sont pas curieux), or j'en ai vendu vingt mille, ce qui est un chiffre honnête ».

Jean-Jacques Pauvert a eu en main une version « encore pire » des Décombres : laquelle, au juste ? Si c'est celle du manuscrit autographe qui, écrit Belot, « diffère parfois significativement de l'état publié », on peut espérer qu'il refera surface quelque jour : il fut vendu aux enchères par la salle des ventes Piasa le 29 avril 1999 et n'a pas été acquis par une institution.

 

Décembre

 

Le 20 : Décès de Sven Nielsen, fondateur des Presses de la Cité. Né au Danemark en 1901, il s'était installé à Paris en 1924, et avait travaillé chez Hachette avant de créer, deux ans plus tard, au 27 rue de Seine (VIe), les Messageries du Livre, en vue d'exporter les livres français à l'étranger.

Se lance dans l'édition en décembre 1942 en rachetant les Editions Albert qu'il rebaptise, en janvier 1944, les Presses de la Cité. Dès l'année suivante il devient l'éditeur privilégié de Georges Simenon dont il publiera quelque 140 titres.

  Sven Nielsen en compagnie de Georges Simenon (photo Paul Buisson)

 

En 1958 il rachète les Editions Amiot-Dumont, en 1959 la Librairie académique Perrin, en 1961 les Editions GP et Solar. En 1962 il crée la collection Presses-Pocket, et fusionne avec les Editions Fleuve Noir, qui publient Frédéric Dard et Gérard de Villiers.

En 1965, il prend le contrôle des Editions du Rocher, de Plon, et de Julliard. En 1970, il crée, avec le groupe allemand Bertelsmann, le club France Loisirs. A sa mort, son groupe éditorial est le deuxième de France derrière Hachette.