Robert Denoël, éditeur

1952

 

Janvier

 

Le 9, Céline se plaint auprès de Jean Paulhan que ses livres ne soient toujours pas réédités, alors que l'article I bis du contrat signé le 18 juillet précédent stipule que Gallimard s'engage à mettre en vente ses livres « dans un délai de six mois après la signature de ce contrat » : « vous pourriez peut-être lui faire remarquer que notre contrat est à expiration... qu'il n'a rien fait du tout (je compte pour rien ce recouvrage de mille exemplaires !) mais je lui dois de l'argent. Dois-je envisager de le rembourser et de reprendre ma liberté ? »

Le 13, Céline écrit à Claude Gallimard de ne tenir aucun compte des revendications de Pierre Monnier, qui a sans doute fait valoir les droits que lui promettait l'écrivain, le 4 octobre précédent : « Vous n'oubliez pas le manuscrit de Féerie sur lequel vous avez bien sûr l'honoraire de 10 p. 100 ». La donne a changé entretemps et la reconnaissance n'est pas la qualité première de Céline : « au diable tout ce parasitage ! Amiot-Dumont Frémanger Monnier etc... assez ! tous ces gens ont amplement fait leur beurre sur mes os ! »

Le 22 : Mort de Roger Vitrac à Paris. Né le 17 novembre 1899 à Pinsac, dans le Lot, ce réprouvé du surréalisme aura publié en 1929 chez Robert Denoël sa pièce la plus célèbre : Victor ou les enfants au pouvoir.

     

                                                                Dullin, Vitrac, Georgius, en 1936

Encore fallut-il attendre sa reprise au Théâtre de l'Ambigu, dix ans après la mort de l'auteur, dans une mise en scène de Jean Anouilh, pour qu'elle s'impose à la critique puis au public.

Le 24, Céline répond à Jean-Louis Tixier-Vignancour, qui s'est rappelé à son bon souvenir : « J'essaye de dépêtrer quelques ronds de-ci de-là... Mais je discerne que j'ai été pillé en tout et partout ! Je dois de l'argent c'est tout ! à tous ! à tout ! La maison de Dieppe n'est pas vendable ! on me réclame du pognon ! d'abord ! »

Cette maison de Dieppe était justement celle que Céline avait proposée à Tixier comme honoraires, quelques mois plus tôt.

 

Février

 

Le 10 : La s.a.r.l. « Les Editions Domat-Montchrestien » au capital de 5 000 000 F dont le siège est à Paris 5e, rue Saint-Jacques n° 160, représentée par sa gérante, Mme Jean Voilier, cède à M. Jacques Lang, industriel, demeurant à Paris, boulevard Malesherbes n° 88, 250 parts de 500 F lui appartenant dans la Société des Editions Denoël. La cession est consentie et acceptée moyennant le prix de 1 000 F par part, soit 250 000 francs.

Le même jour, la même société cède à M. Charles Henry Lozé, industriel, demeurant à Paris XVIe, rue Davioud n° 7, 84 parts de 500 F lui appartenant dans la Société des Editions Denoël. La cession est consentie et acceptée moyennant le prix de 1 000 F par part, soit 84 000 francs.

 

Mars

 

La Société des Editions Denoël fait paraître, dans les publications légales de La Loi des 8-11 mars, l'annonce de la nomination, le 15 février, d'un second gérant : Philippe Rossignol [Dreux 12 mai 1920 - Paris 24 décembre 1989].

Robert Kanters, qui prend l'année suivante la direction littéraire de la maison d'édition, écrit qu'il « était un homme de rapport simple et agréable. Il n’avait pas une grande culture littéraire, mais ne s’en piquait pas et me faisait largement confiance. Il y avait en lui un fond d’humanité et parfois de détresse qui ne paraissait presque jamais sous une jalouse pudeur » [A perte de vue, 1981].

 

 

Philippe Rossignol deviendra dès 1955 président-directeur général des Editions Denoël jusqu'en décembre 1971, avant de rejoindre le groupe Hachette, où il sera directeur du département « Livre » de 1972 à 1981.

Le 14 : Nouvelle édition de Voyage au bout de la nuit chez Gallimard, tirée à 9 000 exemplaires ordinaires, plus un tirage de demi-luxe à 1 050 exemplaires numérotés sur alfama sous cartonnage décoré de Paul Bonet.

       

 

Avril

 

Le 3, Céline adresse à son nouvel éditeur une lettre destinée au fisc, qui lui a été demandée par Gaston Gallimard : « Vous avez bien voulu me consentir une avance de 3 000 000 de francs sur les sommes que je dois recevoir des Editions Denoël. Par la présente, je m'engage à vous déléguer ces sommes à une concurrence du montant ci-dessus. En exécution de cette délégation, je vous autorise à percevoir directement les dites sommes auprès des Editions Denoël. »

Jean-Paul Louis, qui la publie dans Lettres, la commente ainsi : « Cette lettre paraît avoir été rédigée à la demande de Gallimard, suite au rachat de Denoël, dans l'intention d'apurer les comptes résiduels de Céline chez son ancien éditeur et de réduire d'autant l'avance consentie par Gallimard, évitant ainsi à Céline d'être imposé sur la totalité. »

Le 10 : Nouvelle édition de Mort à crédit chez Gallimard, tirée à 7 000 exemplaires ordinaires, plus un tirage de demi-luxe à 750 exemplaires numérotés sur vélin labeur sous cartonnage décoré de Paul Bonet. Les « blancs » de l'édition originale ont été maintenus.

       

 

Mai

Nouvelles éditions chez Gallimard de L'Eglise, Semmelweis, Casse-pipe, Guignol's Band. Le tirage sur papier ordinaire est de 5 000 exemplaires pour chacun de ces titres. Avant ces recompositions, plusieurs éditions anciennes avaient fait l'objet de recouvrures.

C'est le cas de Casse-pipe : 1 912 exemplaires de l'édition Chambriand (décembre 1949) ont été cédés par Pierre Monnier à Gallimard en juillet 1951 et recommercialisés en décembre 1951. C'est aussi le cas de Guignol's Band, dont 400 invendus de l'édition originale (mars 1944) ont été cédés par Denoël et remis en vente en novembre 1951.

 

Juin

 

Le 10 : Parution de Féerie pour une autre fois chez Gallimard. C'est le premier ouvrage réellement nouveau de Céline qui est édité rue Sébastien-Bottin. Son tirage à 33 000 exemplaires est assez conforme à celui que le romancier avait obtenu chez Denoël pour Guignol's Band, son roman précédent : 30 000 exemplaires. Un tirage de demi-luxe à 1 050 exemplaires numérotés sur vélin sous cartonnage de Paul Bonet a été mis en vente simultanément.

    

 

Juillet

 

Le 16 : Lucien Rebatet quitte la prison de Clairvaux, où il était détenu depuis plus de cinq ans. Le 23 novembre 1946 il avait été condamné à mort avant d'être gracié, le 12 avril 1947, par Vincent Auriol, à la suite d'une pétition signée par Jean Anouilh, Marcel Aymé, Georges Bernanos, Albert Camus, Paul Claudel, Roland Dorgelès, Pierre Mac Orlan, Roger Martin du Gard, François Mauriac, et Jean Paulhan. Sa peine avait été commuée en travaux forcés à perpétuité.

 

Philippe Rossignol, le nouveau directeur chez Denoël, refuse à Blaise Cendrars la publication de deux ouvrages de compilation : « La Rumeur du monde » et « Le Poids du monde ». Il ne retiendra pas davantage, bien qu'ayant été annoncé, Sous le signe de François Villon.